Pour en finir avec le FN
(ou mes adieux définitifs à la PME familiale)
Depuis quelques mois, plusieurs personnes me demandent les raisons de mon départ du FN qui date désormais de presque un an. Je m'étais promis de ne plus parler du Front Familial, estimant avoir un combat plus urgent à mener et ne supportant plus la saturation du débat public autour de ce mouvement dans les médias : " Marine est-elle comme son père? Marine est-elle en froid avec papounet? A-elle une chance de remporter les présidentielles ? Est-elle populiste d'extrême droite ou extrêmement populiste ? Aime-t-elle la musique baroque ou le bœuf bourguignon ?" Je décidais de ne pas apporter d'eau dans ce moulin de vacuité médiatique et de me consacrer exclusivement aux problèmes économiques, politiques, sociaux et environnementaux bref, aux vrais sujets. Mais ayant toujours la politesse de répondre lorsque je suis interrogé sur le sujet, je ne respectais qu'à moitié cet engagement personnel.
Après des crises internes dans de nombreuses fédérations comme les Alpes-maritimes ou les Hauts de Pyrénées, c'est désormais dans mon ancienne fédération du Puy-de-Dôme que de telles histoires semblent se produire. Je crois donc que c'est le moment idéal pour exposer les nombreuses raisons de mon départ pour définitivement tourner cette première page de ma vie de militant politique.
Je vais tout d'abord évoquer un secret de polichinelle, mais dont je me suis rendu compte qu'il expliquait tout le reste : le FN est avant tout une PME familiale et clanique. Les plus informés connaissent la volonté de Jean-Marie Le Pen de mettre sa femme tête de liste aux élections lorsqu'il était inéligible, sa volonté assumée de voir sa fille lui succéder au congrès de Tours, le fait qu'il est offert à sa petite fille la circonscription de Carpentras clé-en-main (l'une des très rares circonscriptions que pouvait espérer remporter le mouvement en 2012). Plus récemment, on peut citer l'élection de monsieur Aliot au Parlement européen auprès de sa compagne ou le fait que les prestataires de service avec qui le FN passent des contrats soient tous des amis personnels de Madame Le Pen( quitte à fournir des kits de campagne beaucoup plus chers que les prix du marché, les candidats et les contribuables apprécieront...). Ce mouvement fonctionne donc à grands coups de promotion-canapé, de préférences non pas nationales mais claniques ou familiales. Cela se retrouve à toutes les échelles(locale, départementale, régionale et nationale). Je n'évoquerai pas toutes les sordides histoires dont j'ai eu vent aux quatre coins de l'hexagone, mais j'invite les personnes intéressées( je pense notamment aux journalistes qui ont envie de faire un vrai travail d'enquête) de faire le tour des réseaux sociaux et de contacter les gens qui sont partis du FN pour en connaître les motifs : ceux qui pensaient que le slogan "mains propres et tête haute" s'appliquait concrètement dans ce mouvement tomberont des nues.
De ce postulat qu'est le fonctionnement clanique du mouvement découle le deuxième motif de mon départ, l'absence de méritocratie. Une fois encore, j'invite les gens à creuser un peu le dossier et ils découvriront des cadres absolument incompétents, des secrétaires départementaux qui n'ont pas étaient une seule fois sur le terrain depuis les législatives de 2012, des porte-paroles incapables de prendre la parole dans les médias, des gens de terrain qui se font remercier du jour au lendemain pour être remplacés par des parachutés, des courtisans et des carriéristes, j'en passe et des meilleurs. Moi qui ai toujours considéré la méritocratie non seulement comme un impératif éthique mais aussi comme le mode de sélection le plus efficace pour choisir des responsables, j'ai bien été obligé de constater que tout le monde ne partageait pas mon opinion sur le sujet et que le phénomène était loin,très loin d'être insignifiant sur le plan quantitatif.
Qui dit fonctionnement tribal et absence de méritocratie dit aussi absence totale de formation et par conséquent grand amateurisme. En effet, pourquoi s'embêter à former des gens lorsque la nomination repose si souvent sur le nom ou les compétences sexuelles ? C'est non seulement une perte de temps, mais pire encore, cela permettrait à des militants volontaires et dynamiques d'acquérir certaines compétences et de faire de l'ombre aux intellectuels de salon que l'on n'a jamais vu mouiller le maillot, mais qui par affinité avec des supérieurs, bénéficient de statuts particuliers... Récemment, plusieurs conseillers municipaux FN avec qui j'ai gardé contact m'ont fait part de leur détresse et de leur sentiment de solitude, car depuis leur élection, ils n'ont pas reçu la moindre formation de leur hiérarchie nationale ou locale pour pouvoir se pencher sur les sujets les plus techniques évoqués en Conseil municipal ou en communauté de communes. Ces hommes et ces femmes qui ont fait des efforts considérables pour monter des listes et être élus( et cela avec un don de soi total) se voient désormais abandonner par le mouvement et ne peuvent tenir leurs engagements de campagne de manière satisfaisante. Je peux ajouter que j'ai assisté à une réunion hallucinante à l'hôtel MERCURE de Tours, réunion que je n'ai malheureusement pas enregistré mais où on nous expliquait que pour pouvoir boucler les listes des élections municipales, il fallait être très très vague avec le futur colistier en insistant sur le fait qu'il n'aurait rien à faire mise à part donner son nom, nom qui pouvait d'ailleurs être trafiqué en utilisant le deuxième prénom ou le nom de jeune fille ( le reportage sur Anne-Sophie Leclère en campagne montre assez bien les méthodes qu'ils nous conseillaient). On est bien loin de l'image du FN qui veut prendre des mairies pour appliquer des projets ( plusieurs cadres m'ont d'ailleurs dit qu'ils espéraient en remporter le moins possible) et je pense que cet amateurisme se ressentira bientôt dans un grand nombre de municipalités.
Un sujet un peu différent mais tout aussi important, est celui des affaires d'argent qui semblent impliquer un certain nombre de cadres et de candidats qui doivent de l'argent à des adhérents ou ont des problèmes avec la brigade financière( n'ayant pas de documents concrets sur le sujet en ma possession, je conseille aux lecteurs d'être très attentifs sur l'évolution de ces différentes affaires qui commencent à sortir dans la presse comme c'est le cas à Hayange.
Last but not least comme on dit de l'autre côté de la Manche, la raison ultime qui a provoqué mon départ est sans aucun doute la bouillie idéologique qui sert de socle au parti. Les plus optimistes parlent d'une belle auberge espagnole, moi, je considère cela comme un fourre-tout politique. J'étais venu au FN pour défendre la ligne gaullienne qu'incarne Florian Philippot, j'étais séduit par le discours de Marine Le Pen qui se voulait souverainiste et républicain et prétendait rompre avec les éléments extrémistes et xénophobes. Je dois reconnaître que beaucoup de ces éléments sont partis, non pas tellement parce que "Marine fait le ménage" mais plutôt parce que ces gens finissent par être écœurés par les phénomènes que j'évoquais et qu'ils ne souhaitent pas militer( et c'est leur droit le plus strict) avec des gens qui comme moi souhaitent porter un discours souverainiste et républicain sans tomber dans l'extrémisme. Ces gens-là devenaient en effet de plus en plus nombreux mais là encore, ça s'en va et ça revient, j'ai appris il y a peu que les identitaires et les nationalistes proches de Philippe Ploncard-d'Assac souhaitent venir au FN pour y prendre des postes, nous devrions donc voir prochainement les gaullistes et souverainistes qui avaient rejoint le FN "dédiabolisé", quitter en masse le mouvement qu'ils espéraient changer ( lire à ce sujet le livre des époux Portheault qui illustrent très bien ce que j'évoque). Mais je n'en veux pas à ces militants vichystes, identitaires, néo-nazis et théoriciens du complot( dont certains, pourtant cadres du FN avaient évoqué l'éventualité de formations "undergrounds" réservées à une "élite capable d'ingurgiter du politiquement incorrect"). Ils veulent faire passer leurs idées et se faire élire et le FN leur offre un excellent tremplin politique, ils seraient bien bêtes de ne pas sauter sur cette occasion de sortir du ghetto ultra-minoritaire dans lequel ils évoluent. En revanche, j'en veux énormément à ce parti, le Front National, qui depuis 40 ans, discrédite toute critique cohérente du système, de ses lobbys bancaires, de ses politiciens corrompus, de cette Union européenne qui se fait contre les peuples. J'accuse ses dirigeants d'avoir contribué eux-mêmes à diaboliser le patriotisme en ayant laisser tout le gratin de l'extrême droite y occuper des postes.L'autre jour, un ami me demandait : " Mais pourtant Mathieu, dans les militants, il y a bien des noirs, des homosexuels, des juifs et des gens aux idées modérées, pourquoi restent-ils et comment cohabitent-ils avec les extrémistes qui les détestent? Et bien, je pense que la réponse la plus satisfaisante à cette question très complexe, c'est l'extraordinaire talent que Le Pen père et Le Pen fille ont pour fédérer des gens très différents aux idées souvent contradictoires, et même parfois antagonistes. De plus, si l'on reprend l'idée de PME familiale, on comprend alors cette chose toute simple : vous pouvez être au FN et penser à peu près n'importe quoi, des idées les plus modérées jusqu'aux thèses les plus extrémistes, c'est un petit peu le Mac Donald's de la vie politique française : vous venez comme vous êtes. Toutefois il y a une condition sine qua non et une seule: aduler le clan Le Pen et ne jamais remettre en question leur légitimité, leur vouer un véritable culte de la personnalité et vous pourrez ainsi travailler à faire fructifier la PME familiale.
Le chant du départ :Nous sommes le 15 septembre 2013 aux universités d'été du FN à Marseille, Marine Le Pen va bientôt faire son entrée et prononcer un discours devant 2000? 3 000 ? 4 000 personnes ? Je ne sais plus et puis comme de toute façon, ils mentent tout le temps sur les nombres( notamment sur les adhésions)... En tout cas, il y a du monde et les "Marine présidente" commencent à être entonnés. Dans quel état d'esprit suis-je à ce moment-là ? J'ai déjà perdu toute confiance envers ce mouvement et ses principaux cadres. Je suis ici uniquement en temps que directeur de campagne de Dominique Chalard pour les municipales de Lempdes. Cela fait déjà des mois que nous essayons de monter cette liste avec l'aide de personne si ce n'est de Dominique Morel, Jérémy Prévost, Raphaël Vigouroux et les Lempdais, nous n'avons eu aucune formation et sommes écœurés par un grand nombre de choses. Assis au cinquième rang, on nous fait comprendre qu'il faut aller plus loin( nous occupons la place de courtisans plus chevronnés). Mes amis cherchent les places les plus proches possibles tandis que je me dirige tout en haut de la salle pour être plus tranquille. La musique arrive bientôt et les milliers de frontistes dans la salle se mettent à crier leur amour pour la Jeanne d'Arc de Neuilly, persuadés qu'elle incarne la rédemption française. Malgré les applaudissements réguliers et le discours de notre "sauveuse" qui n'a pourtant rien d'une berceuse : je dors ! Les semaines qui suivent sont très difficiles pour moi, je ne supporte plus d'être lié à ce mouvement, j'ai honte et pourtant, je veux aller jusqu'au bout des municipales pour ne pas laisser tomber mes amis, Dominique Chalard et Dominique Morel qui luttent avec acharnement contre toutes les dérives internes que j'ai mentionné. Et puis un soir, je craque et leur annonce que je ne peux plus continuer le combat, que je ne peux plus mentir aux gens en leur demandant de rejoindre un parti auquel je ne crois plus. J'ai honte de les laisser à ce moment-là mais je me dis que je ne suis plus d'aucunes utilité et qu'il vaut mieux partir avant le début de la campagne officielle. Le lendemain, je raccompagne une amie à la gare et tombe sur une affiche indiquant la venue de Nicolas Dupont-Aignan à Clermont-Ferrand, ayant hésité entre lui et Marine en 2012, ma réaction est la suivante : "qui sait ?"
Épilogue: j'ai rejoint Debout la République en décembre 2013 et j'ai milité pour Patrice Court-Fortune aux élections européennes. Notre slogan était "ni système, ni extrêmes": quel changement quand on a connu les deux... Je n'ai pour l'instant constaté aucun manquement au principe de méritocratie qui m'est si cher. La formation des militants est assurée, le niveau de compétence des cadres est cent fois plus élevé, l'organisation du mouvement est beaucoup plus démocratique et les militants ne sont pas considérés comme des vaches à lait bon pour payer des cotisations et éventuellement coller des affiches. Enfin, je ne suis plus obligé de cohabiter avec des gens qui ont des idées incompatibles avec les miennes et je ne suis plus associé à des milieux d'extrême droite. Quant à la personne de Nicolas Dupont-Aignan, je ne vais pas vous en faire un portrait dithyrambique car le stupide culte de la personnalité mariniste m'a définitivement vacciné contre ce procédé, je vais donc me contenter de dire cette chose simple: j'ai confiance en lui. Il reste beaucoup à faire et je connais déjà l'argument qui consiste à évoquer nos scores certes bien plus faibles que le mastodonte bleu-marine. Mais je préfère repartir sur des bases saines avec des gens compétents sur cette ligne "ni système ni extrêmes" dont la France a grand besoin. Peut-être est-ce une forme de romantisme politique de ma part, mais je veux pouvoir dire dans plusieurs décennies, lorsque le moment sera venu de faire le bilan de ma vie militante : "mes mains sont toujours propres et ma tête est toujours haute".
Mathieu Piarry
P.S: Ce témoignage est dédié à tous les militants et ex-militants du FN( y compris ceux qui ne partagent pas du tout mes idées) qui ont sacrifié du temps, de l'argent, leur carrière, parfois leur couple pour faire fructifier la PME familliale alors qu'ils pensaient faire avancer des causes politiques. Je tiens à faire une mention spéciale pour Dominique Chalard, Dominique Morel, Jérémy Prévost et Raphaël Vigouroux avec qui j'ai passé tant d'heures à militer et qui continuent aujourd'hui de porter les couleurs du FN en combattant toutes les dérives internes que j'ai évoqué : je leur souhaite tout le succès possible, mais je suis très pessimiste quant à leur chance de réussite.
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