Laïcité : le charme rompu
Te souviens-tu Rachida(1) quand nous jouions aux billes dans la rue E, car dans nos corons du Nord les rues trop nombreuses de la cité Adolphe Thiers ne portaient pas de nom mais des lettres ? Tu voulais devenir avocate et la condition nécessaire de cette ambition était d'être toujours bonne élève. C'était la bagarre entre nous pour décrocher les meilleures notes. Te souviens-tu Khadija de nos jeux de ballons et de nos échanges : mes patins à roulettes contre un bout de pain encore chaud fabriqué par ta mère, une recette algérienne ? Rachid te souviens-tu de nos courses dans la forêt de Raismes, tu connaissais le bois comme ta poche. Fabio, parles-tu toujours avec les mains à la façon des Siciliens ?
Algériens, Marocains, Polonais, Siciliens, Sardes ou de parents français, enfants mélangés de différents pays, appartenant à des religions différentes, nos seuls soucis étaient pourtant nos jeux. Notre condition commune de filles et fils d'ouvrier de la métallurgie et de mineur nous liait dans l'envie et le devoir de réussir à l'école. Nos grand-pères mineurs de fond ou émigrants du Maghreb auraient tout donné et ils ont tout donné pour extraire leurs enfants et petits enfants de la condition ouvrière. L'école était le passage obligatoire et le seul possible pour y parvenir. A la fin du CM2 mon grand-père se réjouissait déjà de mon instruction. C'était son mot : "toi qui es instruit".
Que voit-on dans le regard des enfants de cette photo dont 35 ans nous séparent ? Leur sourire, leur insouciance. Voit-on dans ces regards le désespoir, la frustration d'une discrimination ? Voit-on dans ces sourires l'amertume du sentiment de rejet, la tristesse d'une condition pauvre et d'un avenir voué à l'échec ? Non, vous le voyez bien. Non pas que la vie était facile et que les quolibets et les railleries ne s'entendaient pas dans la cour de récréation. Mais notre classe était ce lieu où régnait l'égalité, à l'exception du maître qui était justement le maître depuis son estrade.
Dans notre classe d'école préservée de l'idéologie, de la morale politique et où nous n'étions soumis qu'à l'autorité du maître sévère mais juste, à son devoir d'instuire et à notre devoir d'apprendre et d'obéir, la laïcité s'exerçait de façon naturelle.
Cette laïcité naturelle, ils en ont fait une laïcité artificielle, théorisée. La laïcité qui était un espace de liberté devient un laboratoire d'expérimentaion idéologique : observons les enfants-cobayes après une minute de silence sous surveillance ou un interrogatoire en règle "es-tu Charlie" et tirons-en les conclusions, remédions aux comportements indésirés par quelques cours de morale orientée et d'instruction civique bricolée dans l'urgence.
On ne fera désormais plus une rentrée scolaire sans le rite initiatique de la signature de la charte de la laïcité(3), prestation de serment qui ne dit pas son nom et masquée en annexe du règlement intérieur.
Cette laïcité applicable par défaut et universelle, ils en ont fait une laïcité maçonnique. L'idéologue en chef, madame le Ministre de l'Education Nationale est à la manoeuvre; elle qui était déjà le fidèle lieutenant du président Hollande pour accomplir le grand oeuvre du mariage homosexuel (fondement, par démagogie, d'un communautarisme de plus); elle le successeur de Vincent Peillon qui rêvait d'établir une religion républicaine et d'arracher l'élève au déterminisme familial, selon ses propres propos. Fera-t-on confiance à ce Ministre pour appliquer sans retenue l'article 2 de la charte de la laïcité : "Il n'y a pas de religion d'Etat" ?
On a confié un trop grand pouvoir à un esprit trop corrompu par la pression idéologique du parti socialiste. Quel gâchis d'avoir un Ministre de l'Education, fille d'ouvrier marocain et de ne pas aboutir à la conclusion que la clé de la réussite c'est le travail à l'école. Dans sa situation, Najat Vallaud-Belkacem n'avait qu'une phrase à dire pour remettre d'aplomb l'école de la République : "Les enfants ! Travaillez dur à l'école et comme moi vous aurez un beau métier". Tout le reste n'est que du temps perdu en disputes de philosophie de comptoir.
Il ne faudra pas non plus compter sur une opposition des partis de droite et d'extrême droite qui voient dans la laïcité un instrument, un grigri pour exorciser leurs propres démons : prédicateurs des bacs à sable et terroristes islamistes en herbe. Pour ceux-là la laïcité est le prétexte et l'outil pour entretenir le mythe d'une France ethniquement et religieusement pure.
Obsession moraliste pour les uns, réflexes xénophobes pour les autres, les adultes projettent sur les enfants de nos écoles idéologie, peurs et fantasmes ! Pauvres gosses ! Alors quoi ? Les enfants d'aujourd'hui seraient tout à coup inaptes à vivre ensemble ? Je ne peux m'y résoudre.
Désormais le charme est rompu. Je dois être trop sensible, naïf ou nostalgique d'une époque heureuse lorsque l'école de la République était notre espoir et notre chance. Je n'ai pas dû voir que la société avait changé. Mon propos compte probablement aussi un peu de mauvaise foi, puisque dès 1984 on a vu apparaître les petites mains jaunes de Touche pas à mon pote. Cela a été sans doute le début de la méfiance réciproque, des rancunes, du communautarisme et la fin de notre innocence puisque l'on nous opposait tout à coup notre propre racisme.
Mais ne concluons pas cet article de façon négative : la laïcité à l'école peut encore exister. Et comme le propose Debout La France dans son programme(4) : cela pourra être possible en réaffirmant le principe d’une école publique, laïque et obligatoire, fondée sur l’effort et le mérite, étanche à toute pression politique. Souhaitons également voir réussir madame Vallaud-Belkacem dans son projet de réforme de la carte scolaire. Les tenants de la liberté individuelle crient déjà au scandale mais il faut en finir avec cette forme de fraude. La laïcité ne se borne pas à la question religieuse; la laïcité c'est aussi la mixité sociale. Si la réforme est autoritaire (mais ce n'est pas le genre au parti socialiste) le risque est en revanche de voir fuir les élèves dans les écoles privées et de constater le délitement complet de ce qui reste de mixité.
Jérôme Framery DLF63
(1)Les prénoms sont modifiés pour préserver l'anonymat de mes camarades de classe; cependant ces situations sont authentiques.
(2)Cette photo étant déjà librement accessible depuis au moins un site Internet dit de "réseau social", je me permets de l'afficher ici. Toutefois n'hésitez pas à me signaler tout abus de diffusion dans les commentaires.
(3)Voir le document http://cache.media.education.gouv.fr/file/Horaires-reglement/43/5/charte_de_la_laicite_393435.pdf
(4)Voir : http://www.debout-la-france.fr/une-republique-des-devoirs-des-droits
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