Livre : Quatrevingt-treize
Debout la France ! Debout la France ! Voilà qui est bien dit, mais quelle est cette France que l'on exhorte à se lever ? La France multiséculaire avec pour colonne vertébrale sa longue lignée des rois de France ou la France du peuple libre, modèle originel de la démocratie, imité par les peuples du monde entier. Cette question se pose à nous autres citoyens français. La Révolution Française reste une plaie mal fermée dans notre mémoire collective et Victor Hugo n'est pas en reste. Que penser de la Révolution, et que penser de cette année cruelle 1793.
Qu'est-ce donc que cette curiosité que la Révolution Française ? Evénement unique dans l'histoire du monde, « le plus puissant pas du genre humain depuis l'avènement du Christ » .
Lutte entre les nobles et les paysans ? Non ici deux nobles, Gauvain et Lantenac
s'affrontent :
« - Qui est-ce qui se bat ?
« - Un ci-devant contre un ci-devant. »
Lutte entre prêtres et laïcs ? Non : Cimourdain le prêtre est nommé délégué du Comité de Salut Public avec les pleins pouvoirs, il sera délégué auprès de Gauvain.
Prêtres et nobles ne sont pas exclus des plus hauts postes pour mater la rébellion royaliste :
« _ Donnons au prêtre le noble à garder, dit Danton. Je me défie d'un prêtre qui est seul ; je me défie d'un noble qui est seul ; quand ils sont ensemble je ne les crains pas ; l'un surveille l'autre, et ils vont. »
Lutte entre les croyants et les athés ? Non plus : « l'athéisme est aristocratique » fait dire Victor Hugo à Robespierre.
Cette année sanglante de la révolution, Victor Hugo a osé la regarder en face, l'affronter comme une bête terrible. Quatrevingt-treize, nombre redoutable comme un nombre des cabales et de la Bible. Quatrevingt-treize, c'est l'histoire de la France révolutionnaire à travers l'histoire de deux hommes : Gauvain, commandant de la colonne expéditionnaire envoyée pour prendre Lantenac, et Lantenac, chef proclamé de la Vendée, l'ouest royaliste. Les deux hommes sont liés par un lien de parenté et tout deux sont déterminés, incorruptibles, implaccables, « inéxorables » nous dit Victor Hugo.
Voici deux beaux extraits qui montrent toute la difficulté de justifier un camp ou l'autre. Nous sommes à la fin du roman. Après une nuit sans sommeil de combat meurtrier entre les hommes de Gauvain et les hommes de Lantenac, Gauvain nous confie ses pensées :
Est-ce donc que la révolution avait pour but de dénaturer l'homme ? Est-ce pour briser la famille, est-ce pour étouffer l'humanité, qu'elle était faite ? Loin de là. C'est pour affirmer ces réalités suprêmes, et non pour les nier, que 89 avait surgi. Renverser les bastilles, c'est délivrer l'humanité ; abolir la féodalité, c'est fonder la famille. L'auteur étant le point de départ de l'autorité, et l'autorité étant incluse dans l'auteur, il n'y a point d'autre autorité que la paternité ; de là la légitimité de la reine-abeille qui crée son peuple, et qui, étant mère, est reine ; de là l'absurdité du roi-homme, qui, n'étant pas le père, ne peut être le maître ; de là la suppression du roi, de là la république. Qu'est que tout cela ? C'est la famille, c'est l'humanité, c'est la révolution. La révolution, c'est l'avènement du peuple ; et, au fond, le Peuple, c'est l'Humanité.
Lantenac est enfin pris. Sûr de sa condamnation à mort qui aura lieu dans quelques heures il nous confie sa vision de la France et de la révolution à travers cet entretien avec Gauvain dans le cachot :
En grandissant, vous avez trouvé un moyen de vous rapetisser. Depuis que nous nous sommes vus, nous sommes allés chacun de notre coté, moi du côté de l'honnêteté, vous du côté opposé. Ah ! Oui, c'est beau, j'en tombe d'accord, les progrès sont superbes, on a supprimé dans l'armée la peine de la chopine d'eau infligée trois jours consécutifs au soldat ivrogne ; on a le maximum, la Convention, l'évêque Gobel, monsieur Chaumette et monsieur Hébert, et l'on extermine en masse tout le passé, depuis la Bastille jusqu'à l'almanach. On remplace les saints par les légumes. Soit, messieurs les citoyens, soyez les maîtres, régnez, prenez vos aises, donnez-vous-en, ne vous gênez pas. Tout cela n'empêchera pas que la religion ne soit la religion, que la royauté n'emplisse quinze cent ans de notre histoire, et que la vieille seigneurie française, même décapitée, ne soit plus haute que vous. Quand à vos chicanes sur le droit historique des races royales, nous en haussons les épaules. Chilpéric, au fond n'était qu'un moine appelé Daniel ; ce fut Rainfroi qui inventa Chilpéric pour ennuyer Charles Martel ; nous savons ces choses-là aussi bien que vous. Ce n'est pas la question. La question est ceci : être un grand royaume ; être la vieille France, être ce pays d'arrangement magnifique, où l'on considère premièrement la personne sacrée des monarques, seigneurs absolus de l'Etat, puis les princes, puis les officiers de la couronne, puis les armes sur terre et sur mer, puis l'artillerie, direction et surintendance des finances. Ensuite il y a la justice souveraine et subalterne, suivie des maniements des gabelles et recettes générales, et enfin la police du royaume dans ses trois ordres. Voilà qui était beau et noblement ordonné ; vous l'avez détruit. Vous avez détruit les provinces, comme de lamentables ignorants vous êtes, sans même vous douter de ce que c'était les provinces. Le génie de la France est composé du génie même du continent, et chacune des provinces de France représentait une vertu de l'Europe ; la franchise de l'Allemagne était en Picardie, la générosité de la Suède en Champagne, l'industrie de la Hollande en Bourgogne, l'activité de la Pologne en Languedoc, la gravité de l'Espagne en Gascogne, la sagesse de l'Italie en Provence, la subtilité de la Grèce en Normandie, la fidélité de la Suisse en Dauphiné. Vous ne saviez rien de tout cela ; vous avez cassé, brisé, fracassé, démoli, et vous avez été tranquillement des bêtes brutes. Ah ! Vous ne voulez plus avoir de nobles. Eh bien vous n'en n'aurez plus. Faites-en votre deuil. Vous n'aurez plus de paladins, vous n'aurez plus de héros. Bonsoir les grandeurs anciennes. Trouvez-moi un d'Assas à présent ! Vous avez tous peur pour votre peau. Vous n'aurez plus les chevaliers de Fontenoy qui saluaient avant de tuer, vous n'aurez plus les combattants en bas de soie du siège de Lérida ; vous n'aurez plus de ces fières journées militaires où les panaches passaient comme des météores ; vous êtes un peuple fini ; vous subirez ce viol, l'invasion ; si Alaric II revient, il ne trouvera plus en face de lui Clovis, si Abdérame revient il ne trouvera plus en face de lui Charles Martel ; si les saxons reviennent ils ne trouveront plus devant eux Pépin ; vous n'aurez plus Agnadel, Rocroy, Lens, Staffarde, Nerwinde, Steinkerque, la Marsaile, Raucoux, Lawfeld, Mahon ; vous n'aurez plus Marignan avec François Ier ; vous n'aurez plus Bouvines avec Philippe Auguste faisant prisonnier, d'une main, Renaud, comte de Boulogne, et de l'autre, Ferrand, comte de Flandre. Vous aurez Azincourt, mais vous n'aurez plus pour s'y faire tuer, enveloppé de son drapeau, le sieur de Bacqueville, le grand porte-oriflamme ! Allez ! allez ! faites ! Soyez les hommes nouveaux. Devenez petits !
Photo : Au pied de la tour du château de la Tourgue, Lantenac est pris.
La mère retrouve ses trois enfants sauvés de l'incendie par Lantenac. Touché par cet acte de bravoure et d'humanité, Gauvain laissera s'échapper Lantenac du cachot. Pour cette trahison, c'est Gauvain qui sera finalement guillotiné.
Alors Debout La France ! La France dans sa totalité, historique ou révolutionnaire, mais toujours grande.
Jérôme Framery DLF63
A découvrir aussi
- 1984 d'Orwell à toutes les sauces
- Pour les vacances, pourquoi pas un roman de science-fiction !
- Livre : Echapper à la mort de la France par François Billot de Lochner